Le webdocumentaire est antisocial !

labyrinth
Crédits : Peter Shanks / Flickr

Article écrit en collaboration avec Maxime Grimbert.


Explication en cinq points.

C’est lundi matin, on arrive au boulot et avant de se mettre au travail, on boit un café avec les collègues pour raconter son week-end. Le match de samedi soir à la télé ? On en parle. Le film-évènement de la semaine, aussi. Le documentaire inédit sur France 2, aussi. Le clash chez Ruquier, aussi. Mais du webdocumentaire qu’on a vu tranquillement dimanche après-midi ? Pas un mot.

Le webdocumentaire – ou webdoc -, c’est ce produit audiovisuel/transmédia dit interactif, immersif, qui se regarde, se consulte ou se joue en ligne (petite précision : ce n’est pas un documentaire mis en ligne). Dans les milieux concernés, chez les journalistes, les documentaristes, les communiquants, il fait beaucoup de bruit* !
Mais chez les autres… on cherche encore.
Nous avons voulu essayer de comprendre pourquoi.

1. Le webdoc est… sur le web

Pour consulter un webdoc, il n’y a pas – par définition – d’autres moyens que d’aller sur Internet et entrer une URL dans un navigateur. Sur smartphone, une application pourrait être une alternative mais bon, il faut un smartphone. Bref, il faut Internet et un terminal relativement récent. Car oui, le webdocumentaire utilise des technologies souvent avancées impossibles à faire tourner sur Internet Explorer 6 (encore 0,5 % de part de marché en France fin 2014) ! Et puis souvent, les webdocs sont produits pour Chrome…
Certains webdocs (ou productions interactives) sont relativement légers. À l’inverse, d’autres s’apparentent à de véritables jeux vidéo, comme Fort McMoney. Le terminal doit donc suivre (et ne peut pas être une petite tablette, un petit smartphone ou le PC (portable) avec du Intel Celeron et 2GB de RAM dedans.
Et puis il y a des aspects qu’on ne peut pas contrôler, comme la qualité de la connexion. Si on écarte d’office ceux qui n’ont pas Internet (17 % de la population en France en 2013) car ils ne peuvent ou ne veulent pas, il reste tous ceux qui doivent encore faire avec du 56k ou de l’ADSL à 100ko/s (seulement 38 % de la population connectée l’est grâce au haut-débit, et seulement 8 % via le très haut débit).
Comme tout produit, le webdoc est réalisé dans les meilleurs conditions possibles : ordinateurs puissants, dernier cri et accès à la fibre optique.
Le web limite également la découverte de ce type de contenu. Le surf, c’est un peu terminé, donc si le webdocumentaire ne se trouve pas sur un site ou un réseau que tu as l’habitude de consulter, il te sera difficile de tomber dessus (pas comme devant la télé où tu peux découvrir un documentaire en zappant de chaîne en chaîne) . En plus, la communication et la publicité pour ces productions sont inexistantes !
Ainsi, par la marginalité relative du support exploité, le webdoc exclut d’emblée une grande partie du public.

2. Le webdoc est personnalisé et interactif

Utiliser toutes les possibilités offertes par le web, tel est l’un des slogans utilisés par les producteurs de webdocumentaires. C’est vrai, le web permet de donner vie à de plus en plus d’idées. Un des sujets du moment, c’est la personnalisation des contenus que nous consultons sur Internet. Le webdoc est pionnier dans ce créneau ! Un format souvent utilisé consiste à s’inspirer des « livres dont vous êtes le héros »… Ce qui implique d’être seul devant son terminal. Lorsqu’un match, un film voire un documentaire peuvent se voir à plusieurs, le webdoc ne s’y prête pas forcément. On doit choisir entre plusieurs chemins, plusieurs contenus, on entre dans la peau d’un personnage, bref, on doit faire des choix.
Certaines productions permettent même de partager sur les réseaux sociaux votre propre réalisation ou votre propre cheminement ! Quoi de plus personnalisé ?
Mise à part quelques exceptions où l’expérience est partagée (Love Hotel ou Génération Quoi par exemple), le webdocumentaire ne s’accompagne pas du duo bières/chips !
Ainsi, le WD ne se prête que peu, par essence, à une expérience collective.

3. Le webdoc est haut de gamme

Sur le contenu, le webdoc est une œuvre socialement disciminante. On a vu qu’il n’était pas techniquement accessible pour tout le monde, mais il l’est encore moins socialement. Déjà que le documentaire classique connait une audience très limitée, le webdocumentaire en a une quasi-inexistante (comparée à la fiction, au sport ou au divertissement).
La première raison, c’est que les sujets abordés sont très souvent confidentiels.
La deuxième, c’est que même avec une excellente connexion à Internet et un ordinateur qui suit, on ne connait pas forcément les bonnes pratiques qui permettent de s’épanouir devant un webdoc (logique de navigation, réflexes web…). Pour beaucoup de Français, Internet reste encore un outil qui permet d’accéder à des services (comme le minitel). Le webdoc, ou plus généralement les nouveaux médias et le numérique, c’est un peu comme la musique classique. Il faut y avoir été éduqué. Ainsi, si l’ordinateur est tout poussiéreux ou si les parents utilisent la tablette uniquement pour faire du shopping et jouer à Candy Crush, cette éducation sera limitée.
Et même si, dans un cercle d’amis ou de collègues, une personne passe ses dimanches après-midi sur des webdocs, il lui sera difficile de convaincre les autres d’en faire autant. L’éducation aux nouveaux médias n’étant pas encore un facteur de socialisation, cet amateur éclairé d’usages numériques n’est pas sûr d’en compter d’autres parmi ses amis. Selon la règle du plus petit dénominateur commun, les discussions autour d’un verre ou d’un café ne tourneront pas autour de ses découvertes.

4. Le webdoc est cher à produire

Si certaines initiatives montrent que la production d’un webdocumentaire peut être accessible, notamment avec des outils qui évitent de mettre les mains dans le cambouis du code, la majorité d’entre eux sont des gros projets portés par des boîtes qui ont une économie solide (en ayant une activité institutionnelle en parallèle par exemple). En plus de l’équipe technique habituelle (vidéo, son, montage…), de nouvelles têtes viennent apporter leurs compétences web. C’est le cas des développeurs, des graphistes ou encore des webdesigners. Comme le webdocumentaire ne rapporte pas encore d’argent, les producteurs misent sur un produit à haute valeur ajoutée, forcément très cher à réaliser.
Du coup, on est dans un cercle vicieux : le producteur réalise un webdoc haut de gamme (sur la forme et le fond) car dans tous les cas c’est cher. Ce contenu, peu accessible, limite la portée du webdocumentaire et n’apporte pas l’audience qui pourrait aider à financer le webdoc. Et ainsi de suite.

5. Le webdoc est innovant

Le dernier point qui rend définitivement le webdocumentaire anti-social, c’est son caractère innovant ! Oui, c’est peut-être paradoxal, mais comme on l’a vu, un certain nombre d’internautes n’ont pas les outils techniques et les codes nécessaires pour profiter pleinement d’un webdoc. Pendant quelques années, quand il était également confidentiel pour les producteurs, les formes les plus utilisées étaient la carte interactive ou le parcours à choisir. Aujourd’hui, avec les nouveaux moyens, on arrive à faire des productions qui sont à la pointe. Le webdoc devient un objet d’expérimentation !

On entend régulièrement, dans les milieux concernés, que tel webdoc utilisant une carte est « so 2012 ». Pourtant, cette fameuse carte interactive est déjà un obstacle à surmonter et un environnement à apprivoiser.

Compte tenu de tous ces points, on se demande si le webdoc doit définitivement rester une œuvre qui s’adresse aux autres producteurs avant de s’adresser à son public.
On y répondra dans un prochain article !

Note : On pourrait même dire « a fait beaucoup de bruit » car le terme de webdoc est considéré comme has-been par certains professionnels.

Article écrit en collaboration avec Maxime Grimbert.