Une interview réalisée avec Delphine Delfieu
Paris Web, octobre 2010, Matthieu Mingasson alors directeur du département du design d’expérience utilisateur chez Ogilvy Interactive anime la conférence : Méthodologie du Design d’expérience utilisateur (UX). Pendant une heure, Matthieu présente de manière incisive et directe ces techniques encore méconnues.
2016, l’UX déferle en France et devient la marque de fabrique de nombreuses agences digitales. Matthieu a rejoint les équipes de Code & Theory à New-York. Une question nous a alors brûlé les lèvres : pourquoi ? Pourquoi être parti après tant de ferveur, d’énergie ? Comment s’exprime l’UX Outre-Atlantique ? Morceaux choisis de notre discussion.
Une méthodologie de plus en plus performante
Depuis la conférence donnée à Paris Web en 2010, l’UX a bien évolué. Les principes restent valables mais il ne faut pas considérer un process UX en tant que tel, c’est à dire déconnecté du reste. Il ne faut pas isoler l’UX du reste de la conception pour ne pas créer de rupture et plutôt adopter un ”process design” plutôt que UX pur. Rappelons-nous, le design c’est résoudre des problèmes pour le client. Impossible de le déconnecter de la stratégie et du business !
Quand Matthieu Mingasson débute un projet, il cherche un alignement entre clients, équipe et utilisateurs. Les équipes de stratégistes Produit conduisent une phase de recherche très poussée qui passe par une très grande écoute des clients et des interviewés. Les clients maîtrisent le contexte du business et de l’audience, décrivent souvent très bien les problèmes et savent comment les utilisateurs se comportent. ”Les clients viennent à toi car ils ont un produit à changer et te chargent de le transformer en prenant en compte leurs valeurs et leurs utilisateurs” explique-t-il.
La première phase d’un projet est cruciale : c’est le moment de définir les principaux composants du projet. Ces 20 % du temps total alloué au projet sont nécessaires pour définir le produit. Il faut compter six à sept semaines de définition pour un projet conséquent (qui dure un an). Toutes les dimensions du produit sont alors abordées : ce que le client veut faire, pourquoi, ce qu’il y a à résoudre… À la fin de cette phase, les stratégistes et les UX designers formalise un contrat, un alignement entre le client, l’agence et les utilisateurs. Ce document décrit tous les paramètres du produit, la stratégie mise en oeuvre, les metrics mesurés (pas la mesure du trafic entrant car elle n’est pas identifiable avec précision, mais plutôt des indicateurs qui mesurent l’engagement) ainsi qu’une modélisation des profils utilisateurs cibles, souvent établis à partir des recherches marketing effectuées par la marque (alternative : définition d’user models qui reflètent des états d’esprit). A partir de ce moment “le pourquoi, le quoi et le comment ont été résolus dans les grandes lignes“ indique Matthieu. Cette phase de définition est également l’occasion de concevoir et de représenter les principales fonctionnalités à l’aide de croquis et de descriptions… Après cette phase, Matthieu et son équipe présente ce qu’ils ont compris et la direction générale du produit. Sans une phase de définition poussée, il arrive fréquemment que le client soit en désaccord avec l’agence au cours de la phase de design. La phase de définition permet “à l’équipe de clarifier les points et rectifier le tir“ avant même de débuter les wireframes et le design visuel.
La phase de Design UX s’appuie sur une bonne définition du produit et sur la liste des fonctionnalités indispensables. Elle s’organise en sprints qui durent trois semaines environ chacun. Au cours d’un sprint, on présente l’avancée du produit trois fois : un kick-off, une review et une présentation finale des éléments du sprint.
Chaque sprint de design UX comprend également une étape de business analysis et de cartographie de la data.
C’est souvent un problème d’éducation qui est la cause d’un différentiel entre le client et l’agence. Le problème peut aussi venir d’un flou car quelque chose n’a pas été suffisamment creusé.
France vs US : regard croisé
Le processus est très poussé aux USA. En France, précise Matthieu “on a tendance à faire les choses comme elles viennent dans une phase de découverte et non de design. Il y a un très gros décalage entre la meilleure agence française et Code & Theory en termes de process“. La culture anglo-saxonne est beaucoup plus aboutie et va différencier gestion de la clientèle et gestion de projet. En France, la dimension commerciale est malheureusement encore trop reconnue par rapport à la dimension produit. “Aux États-Unis, c’est le livrable qui compte et pour réussir, il faut établir un niveau de confiance suffisant pour y aller pas-à-pas et prouver qu’on sait travailler avec le client“.
Contrairement à la France, l’architecture de l’information fait partie des tâches des UX designers ; tous les UX designers sont des architectes de l’information. Elle est très liée à la stratégie de contenu, où l’on étudie le contenu existant. On travaille avec la stratégie pour mettre en place la définition du contenu. Entre la stratégie et le design d’expérience utilisateur, on trouve l’architecture de l’information, la sémantique et la taxonomie. À Code & Theory, si le projet est important, l’équipe se compose de 2 UX designers ou plus et un stratégiste Produit (appelé “creative Strategist”) – qui vont élaborer la définition du produit, en y incluant l’architecture d’information et la stratégie de contenu.
Ce “très gros décalage” qui existe entre la meilleure agence française et Code & Theory en termes de process’ est symptomatique de l’avance qu’ont les États-Unis en termes d’innovations techniques et de management. Mais le point fondamental n’est pas là. En France, le design d’expérience utilisateur était jusqu’alors un buzz word dont les méthodes étaient peu ou prou réellement appliquées. Aujourd’hui, on assiste à une véritable prise de conscience de l’intérêt du design UX et de l’écoute des utilisateurs. La formation aux métiers du web a un rôle majeur à jouer, notamment sur l’apprentissage des process, qui, nous l’avons vu, créent l’efficacité d’une agence.