Maxime Verner de Forwards

Maxime Verner de Forwards
Maxime Verner par Joffrey Verner

Maxime Verner est le directeur de la publication de Forwards, un média lancé en janvier 2014. Je l’ai interviewé en avril 2014 pour découvrir les motivations de l’équipe.

Maxime Verner : Nous sommes trois potes, Jean-Baptiste, Ahcène et moi-même. Nous avons une boîte de conseils, Hesychia, qui marche pas trop mal. Nous voulions monter un média. Nous sommes des lecteurs de journaux même si c’est de moins en moins le cas. Avant, je lisais cinq ou six journaux par jour et tous les newsmagazines et les revues, plusieurs heures par jour. Aujourd’hui, je lis beaucoup moins. Je trouve que tous les médias sont sur la même tendance, c’est-à-dire fermés sur eux-mêmes. Ils se demandent plus comment arriver à percer et à grandir au lieu de se demander s’ils sont cohérents avec leurs lecteurs. Les journalistes feraient mieux d’aller voir les lecteurs sur le terrain au lieu de rester dans leurs bureaux !

Libération sait qui prétend lire le journal, mais pas qui le lit vraiment. Moi, je lis Libération depuis que je suis gamin. Je trouve la dernière page mortelle. [tweetable alt= »Nous nous sommes inspirés de la 4ème de Libération pour @frwrds. ITW »]D’une certaine manière, nous nous sommes inspirés d’elle pour Forwards[/tweetable]. On se dit que Libé, ça devrait être ça, et pas la moitié des conneries qu’on peut lire dans les pages Politique et Culture. Télérama et Les Inrocks sont aussi en train de se casser la gueule en terme de ligne éditoriale. Aujourd’hui, nous sommes déçus de tous les médias que nous lisons depuis que nous sommes gosses. Nous lisons aussi des médias sur le web, comme Konbini, mais nous trouvons les sites ultra moches, mais c’est normal, ça coûte cher et ce n’est pas facile de faire quelque chose de joli.

Il faut comprendre un truc. [tweetable alt= »@frwrds est un média qui n’est pas une entreprise. ITW »]Nous sommes un média qui n’est pas une entreprise[/tweetable]. On s’en fout en fait. Nous n’avons pas de business model et nous n’en aurons jamais. On s’en fout. C’est en cela que nous essayons d’être un vrai média, c’est-à-dire un média qui essaie de transmettre un message et, en toute modestie, de laisser une petite empreinte, un témoignage d’un moment t.

Ce qui nous intéresse, c’est de bien faire les choses et de prendre notre temps. [tweetable alt= »Entre la rencontre d’un mec et la publi, il peut se passer 3-4 mois. ITW de @frwrds »]Entre la rencontre d’un mec et la publication de l’interview, il peut se passer trois-quatre mois[/tweetable]. C’est dingue, aucun média ne fait ça ! Nous nous sommes rendus compte que ces trois-quatre mois sont un super moment. Nous ne nous mettons pas de limites quant au format. On ne va pas se dire qu’il faut faire tant de signes.

Forwards c’est aussi un vrai travail de forme. [tweetable alt= »Chaque portait a son illustration originale. ITW de @frwrds »]Chaque portrait a une illustration réalisée par un graphiste qui lui est propre[/tweetable]. Le site est également bien fait car nous avons mis le paquet. Nous avons envie que ce soit un moment différent pour le lecteur. Ça prend cinq minutes et c’est même pas tous les jours. C’est fait exprès, nous n’avons pas envie que Forwards devienne la “dose quotidienne d’inspiration” comme Fubiz.

80 % de nos lecteurs viennent de Facebook et Twitter. C’est beaucoup par rapport à d’autres sites. L’autre jour nous regardions les statistiques et nous avons constaté que les lecteurs venaient de 80 pays différents. Bien sûr, 90 % habitent dans trois-quatre pays mais quand même ! Beaucoup de lecteurs sont de New York, d’Angleterre et évidemment de Belgique. Mais un certain nombre habite en Afrique, ça fait plaisir. [tweetable alt= »Tous les ans, nous essaierons de partir à l’étranger pour faire un dossier. ITW de @frwrds »]Tous les ans, nous allons essayer de faire un voyage pour interviewer pleins de mecs et faire un dossier[/tweetable]. En 2013, nous sommes allés à New York et cette année, nous aimerions bien aller en Afrique. Il y a des entrepreneurs de fou là-bas, il y a une vraie dynamique et on n’en parle pas assez.

Surtout, nous ne nous mettons pas la pression. Nous ne nous disons pas “il n’y a pas de lecteurs, on va arrêter le média”. [tweetable alt= »@frwrds nous le faisons pour nous, pour nos potes, c’est un cercle ouvert. ITW »]Nous le faisons pour nous, pour nos potes, c’est un cercle ouvert[/tweetable]. Notre club est vraiment ouvert à tout le monde. J’espère que les gens n’ont pas le sentiment de perdre leur temps ou de lire un truc mal écrit. [tweetable alt= »Nous ne sommes pas journalistes et n’avons pas envie de l’être. ITW de @frwrds »]Nous ne sommes pas journalistes et nous n’avons pas envie de l’être[/tweetable].

Forwards c’est un vrai laboratoire. Nous avons envie de faire découvrir des profils de personnes que tu ne peut lire que trop rarement ailleurs. Nous essayons de casser les codes du média traditionnel où le lecteur est complètement passif.

Comment avez-vous eu l’idée ?

Maxime Verner : Nous n’arrêtons pas de faire des projets. Qu’ils marchent ou ne marchent pas n’est pas très important. Si ça peut susciter deux trois vocations c’est déjà bien. Nous y mettons beaucoup d’énergie pour faire un truc super.

Vous n’avez pas beaucoup été relayé par les médias…

Maxime Verner : Parce que nous n’avons rien fait pour ! Nous n’en avons appelé aucun. Les journalistes qui venaient nous voir nous lisent en tant qu’individus.

Un jour vous vous êtes dis que vous allez faire un média…

Maxime Verner : Oui. Mais en même temps ça fait longtemps que nous lisons les médias. Notre rapport aux médias est assez éduqué.

C’est un média qui se développe tranquillement. Nous ne postons pas tous les jours, nous essayons de dire des trucs intéressant et nous voulons mettre en avant les lecteurs. Non pas pour les mousser, mais parce que nous pensons qu’ils ont quelque chose à dire. C’est fondamental pour Forwards.

Pourquoi n’ouvrez-vous donc pas les commentaires ?

Maxime Verner : Ça fait très blog. Le niveau est affligeant dans les médias ! As-tu déjà laissé un commentaire sous un article ? Moi jamais. Je lis toute la journée pourtant. Pourquoi ? Car ce n’est pas le rôle d’un média de permettre de commenter les articles. [tweetable alt= » Si un média veut donner la parole aux lecteurs, il doit aller la chercher. ITW de @frwrds »]S’il veut donner la parole aux lecteurs, un média doit aller la chercher et la mettre en valeur[/tweetable]. Nous préférons favoriser les portraits de lecteurs, rien n’est fermé.

Vous avez quand même mis de l’argent dans ce projet ?

Maxime Verner : Oui nous avons mis de l’oseille mais nous nous sommes rendus compte que plus tu es pauvre, plus tu investis. Quand tu n’as rien, tu ne vas pas mettre tes sous sur un livret ! [tweetable alt= »Nous investissons une part importante de notre bénéfice dans @frwrds sans penser au ROI. ITW »]Comme nous n’avons pas beaucoup d’argent, nous avons décidé d’investir une part important de notre bénéfice dans un projet, sans penser au retour sur investissement[/tweetable].

Les gens me disent qu’ils ne comprennent pas ce que nous proposons quand ils arrivent sur Forwards. Je leur répond que nous avons fais exprès de ne pas écrire “ce site est un média qui vous permet de…”.

Beaucoup de lecteurs nous ont également demandé pourquoi nous n’écrivions pas en anglais. Pourquoi faire ? Et pour le nom, Forwards, c’est que malheureusement, certains mots anglais ont beaucoup de sens. [tweetable alt= »Dans @frwrds il y a l’idée de puissance, d’effet collectif, de pulsion. ITW »]Dans “forwards”, il y a l’idée de puissance, de vague, d’effet collectif, de pulsion, de traction[/tweetable].
Mais nous ne savons pas ce que le média va devenir. Nous avons envie que les lecteurs prennent le pouvoir, nous avons envie de faire des conférences de rédaction ouvertes. Tout le monde pourrait être fixeur ou rédacteur en chef. [tweetable alt= »Dans l’idéal @frwrds est truc bordélique. ITW »]Un truc bordélique. C’est l’autogestion des débuts de Libération mais en numérique[/tweetable].

Combien Forwards a-t-il de lecteurs ?

Maxime Verner : [tweetable alt= »3000 personnes sont inscrites à la newsletter @frwrds. ITW « ]3 000 personnes sont inscrites à la newsletter[/tweetable]. Ce qui nous intéresse, c’est qu’aucune ne s’est désabonnée de celle-ci en quatre mois.
Souvent, ceux qui s’inscrivent sont des personnes de l’écosystème, comme le patron d’Usbek & Rica.

Combien de visiteurs uniques comptabilisez-vous par mois ?

Maxime Verner : Entre 20 et 30 000, c’est pas énorme.

Combien de temps passez-vous sur le projet par semaine ?

Maxime Verner : Je dirais au minimum une demi-journée chacun.

Combien la création du site a-t-elle coûté ?

Maxime Verner : Elle a coûté assez cher. Je parle encore en francs. Ça fait 50 000 balles, soit sept-huit mille euros. Mais ça les vaut. Nous avons un bon back-office, un bon design, les animations nous ont coûté cher mais on s’en fout.

Vous perdez donc de l’argent sur ce projet ?

Maxime Verner : Oui et ce n’est pas grave. C’est une partie de notre bénéfice qui n’est pas négligeable mais qui n’est pas non plus négociable. Nous voulons que ça reste comme ça. Nous n’allons pas remplacer les portraits dessinés par des photos.

Pourquoi avez-vous choisi de réaliser des portraits plutôt que des interviews ?

Maxime Verner : [tweetable alt= »@frwrds c’est des portraits car les entretiens mettent à distance. ITW »]L’entretien met à distance, le lecteur est exclu d’une manière ou d’une autre[/tweetable]. Il va se demander pourquoi telle ou telle question est posée et pas une autre. Dans un entretien, il n’y a pas de regard. La personne interrogée peut ne rien dire pendant trois heures. Pour un portrait, ce n’est pas possible. À New York j’ai rencontré un ancien prix Pulitzer, un mec énorme. Nous avons parlé ensemble jusqu’à quatre heures du matin et nous avons même abordé son divorce. Ça, je ne vais pas le mettre dans le portrait, mais cela va se ressentir. Le portrait demande plus d’efforts qu’un entretien. Le portrait doit laisser une impression.

Pourquoi avez-vous lancé un site et pas un print ?

Maxime Verner : Le print n’est pas accessible pour tout le monde. J’adorerais faire une revue print sur le rap mais c’est compliqué. Et puis le web c’est viral. Le print crée des inégalités, tout le monde ne pourrait pas l’acheter. Le site est gratuit et sans publicités.

Peux-tu dire quelques mots sur le rendez-vous des lecteurs ?

Maxime Verner : Nous en avons organisé deux-trois. Là on est en train d’hésiter pour le décaler au lundi soir avec un dîner. Actuellement, c’est un samedi matin au fin fond de Montreuil. Mais une trentaine de personnes étaient présentes à chaque fois ! Nous aurions pu le faire à Paris mais nous n’aimions pas l’ambiance d’un lieu qu’on nous avait proposé.

Quelle est la périodicité de publication ?

Maxime Verner : [tweetable alt= »Nous essayons de publier 2 portraits par semaine @frwrds. ITW »]Nous essayons de publier deux portraits par semaine. C’est important pour nous d’avoir une périodicité qui n’est pas trop élevée[/tweetable].

As-tu lu Le 1 ?

Maxime Verner : Le 1 c’est bien ! Nous avions eu une idée similaire avec un pote : prendre une question et analyser les mythologies et l’histoire pour donner différents éclairages. La force de Fottorino c’est d’avoir un réseau de malade. Je pense que je vais m’abonner, ça apporte un véritable éclairage positif. Le 1 peut devenir une référence pour les leaders d’opinion. Il devrait y avoir pas mal d’abonnés à l’EHESS. C’est un des meilleurs nouveaux médias depuis un moment.

Que va devenir le projet ?

Maxime Verner : Je t’avoue que nous nous posons assez peu la question. Est-ce inquiétant ? Peut-être. Sommes-nous fous ? Peut-être.