[Entretien] La revue Long Cours et le manifeste de XXI

Couverture de la Revue Long Cours 3
Couverture de la Revue Long Cours 3
A l’occasion de la sortie du troisième numéro de la revue Long Cours (qui paraît tous les trimestres), revenons avec un peu de recul sur la polémique déclenchée par la publication du manifeste de XXI avec l’interview de Tristan Savin, rédacteur en chef de la revue Long Cours.

Note: cette interview aurait dû être accompagnée de celle d’Adrien Bosc, fondateur de la revue Feuilleton. Il n’a pas souhaité répondre à mes questions.

Tristan Savin, pouvez-vous nous présenter la revue Long Cours?

Tristan Savin - copyright Franck Courtes
Tristan Savin – copyright Franck Courtes

Tristan Savin: La décision d’Express-Roularta [le groupe qui édite Long Cours] de lancer une revue remonte à plusieurs années, trois environ. L’idée de départ était de faire un « mook » de société. Mais beaucoup de « mooks » de ce type ont vu le jour; Express-Roularta a finalement décidé de proposer dans Long Cours des récits de voyages, de l’évasion, de « l’utopie positive ».

Le numéro 1 a été vendu à 18 000 exemplaires, ce qui est plutôt un bon score. Les estimations sur le numéro 2 sont un peu moins bonnes, ce qui est normal puisqu’il y a moins l’effet de curiosité. Le numéro 3 devrait attirer de nouveaux lecteurs car je le trouve encore meilleur. Nous nous situons dans la bonne fourchette de vente des mooks, hors XXI. Nous pouvons être satisfaits. L’accueil des médias à été excellent (excepté celui de XXI!) et nous recevons régulièrement des encouragements.

Enfin, je me présente; je suis chroniqueur littéraire, auteur et grand reporter. Je m’occupe entre autres de la rubrique Voyages du magazine Lire, intitulée l’Esprit des lieux. Je travaille pour le groupe Express-Roularta depuis 8 ans. il était donc naturel que l’on me confie Long Cours qui est une revue axée sur les voyages.

Considérez-vous Long Cours comme un mook?

T.S.: Ethymologiquement, Long Cours est un mook, c’est à dire à la fois un magazine et un livre. C’est un support vendu en librairie. Il est composé d’articles longs qui ne trouvent pas leur place dans les magazines.

Mais je n’aime pas ce mot: une publication qui est à la fois un magazine et un livre – cela existe depuis longtemps – est justement « une revue ». Le mook est apparu dans le sillage de XXI. La grande innovation de XXI, que je nierai jamais, c’est d’être vendu en librairie.

En quoi vous différenciez-vous des autres mooks?

T.S.: Tout simplement, avec notre ligne éditoriale. Si on s’arrête au prix et au format, oui, nous sommes une copie de XXI, tout comme les autres mooks. Dans ce cas, le JT de TF1 a copié celui d’Antenne 2, et RTL, Europe 1. Mais si on lit Long Cours, c’est totalement différent de XXI et de toutes les publications « concurrentes » puisque c’est axé sur les voyages, avec des reportages et des récits littéraires. Ce sont les personnes qui ont pris la peine de lire intégralement XXI et Long Cours qui le disent!

Toutes mes passions sont dans cette revue. J’ai ma propre vision des choses. En tant que rédacteur en chef, j’apporte ma vision du monde et 30 ans d’expérience de la presse et du reportage. Je considère Long Cours comme une revue littéraire, contrairement aux autres mooks, à l’exception peut-être de Feuilleton. La grande démarcation est que nous faisons appel à des littéraires. L’écrivain a une tout autre vision qu’un journaliste sur un même sujet.

Pensez-vous que la brèche ouverte par XXI est faite pour plusieurs mooks?

T.S.: Les fondateurs de XXI le disent eux-mêmes: « il y a de la place pour plusieurs XXI« . Depuis 2008, une bonne vingtaine de mooks ont tenté l’aventure dans les pas de XXI. Resteront seulement ceux qui apportent un plus. Beaucoup n’existent déjà plus. D’ailleurs, les librairies commencent à « râler » devant cette déferlante de mooks!

Long Cours a son lectorat. Des gens fidèles nous suivent. Le meilleur exemple est le nombre d’abonnés à cette revue après le premier numéro: 300, ce qui est étonnant. J’estime que nous trouvons notre place.

Vous sentez-vous concernés par le manifeste?

T.S.: Tout à fait. Je me sens évidemment concerné par ce manifeste car je suis journaliste. C’est important de s’interroger sur la crise de la presse et d’essayer de trouver des solutions.

Pensez-vous qu’une querelle Anciens/Modernes, comme l’avertit Pierre Haski, est au goût du jour?

T.S.: Non. Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry [les fondateurs de XXI], qui sont là depuis longtemps, seraient-ils des modernes déguisés en anciens, ou inversement?

On trouve les bonnes questions dans ce manifeste, il y a une vraie réflexion. Selon moi, j’estime qu’elle est un peu faussée car si on lit entre les lignes, on peut y voir de la démagogie ou de l’hypocrisie. C’est facile de donner des leçons, d’accuser la publicité quand on vend 50 000 exemplaires à 15€ le numéro!

N’est-ce pas un manifeste élitiste, de l’exception qui a réussi?

Couverture du Manifeste de XXIT.S.: Si, tout à fait. C’est un peu: « regardez, nous avons réussi, donc nous avons raison ». Le manifeste appelle à de nouveaux supports. Mais lorsque nous publions Long Cours, XXI nous accuse de les copier. Laurent Beccaria va même répandre des rumeurs en déclarant « [qu’]il n’y aurait pas de numéro 2 de Long Cours« , au moment où je préparais le numéro 3. C’est de la désinformation et c’est contradictoire avec ce qui est prôné dans le manifeste.

La crise de la presse n’est pas née avec internet, c’est un phénomène plus vieux et plus compliqué. Elle est arrivée avec la crise de la publicité, la hausse du prix du papier puis ensuite les journaux gratuits. On occulte tous ces points dans le manifeste. Il y  a 20 ans, Géo Magazine était 3-4 fois plus épais qu’aujourd’hui, grâce à la publicité, et cela leur donnait les moyens de financer de formidables reportages.  Cette crise a commencé avec l’apparition des radios libres et de la télévision privée. Il y a cinquante ans, il existait dix journaux du soir; aujourd’hui, il n’y en a plus un seul! Dire que les journaux meurent parce qu’ils sont vendus aux annonceurs est trop simple.

En revanche, les journaux se vendraient mieux s’ils revenaient à l’investigation et au reportage…

Pour aller plus loin

Manifeste de “XXI” sur le journalisme : “Télérama” fait réagir les médias mis en cause – Télérama – Emmanuelle Anizon, Jean-Baptiste Roch et Olivier Tesquet – 9 janvier 2013

Manifeste de #XXI, le point de vue d’un journaliste web (ou pas, d’ailleurs) – MediaType – Nicolas Becquet – 15 janvier 2013

3 réflexions au sujet de « [Entretien] La revue Long Cours et le manifeste de XXI »

  1. Bonjour,

    Nuance vous nous l’avez proposé et nous avons décliné : nous ne commentons pas le travail de nos confrères mais proposons une revue qui est à sa manière une réponse ou un prolongement. Par honnêteté intellectuelle vous pouvez modifier votre note introductive, sinon ce n’est pas bien grave.

    Bonne journée

    Adrien Bosc
    FEUILLETON

    1. Bonjour,

      Je vous ai en effet contacté pour répondre à la question: « La revue Feuilleton se sent-elle concernée par le manifeste de XXI? ». Il n’était pas question de commenter le travail de vos confrères mais bien d’apporter le point de vue des rédacteurs en chef des deux mooks « généralistes » qui évoluent dans le sillage de XXI.
      Je tiens à conserver la note introductive puisqu’elle fait écho aux propos de Tristan Savin, qui considère Feuilleton comme une revue littéraire, à l’instar de Long Cours. Cela aurait été d’autant plus intéressant d’avoir votre avis sur le Manifeste de XXI.
      Cordialement,
      Jérémie P

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