Alexander Knetig

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Alexander Knetig

Alexander Knetig est chargé de programmes web à Arte France. Un nouveau métier apparu lors de la transition numérique de la chaîne en 2008. Il accompagne les projets diffusés et participe au développement qui aboutit tant sur la création d’une narration que d’une interface.

Un chargé de programmes, contrairement à un chargé de production, accompagne les projets qui sont produits à l’extérieur. Il s’assure qu’ils correspondent à la ligne éditoriale et aux critères qualitatifs et techniques de la chaîne.

Arte et le webdocumentaire?

A.K. : Arte s’est demandée dès 2008 comment investir le web. La chaîne a commencé à travailler avec Upian, qui avait déjà produit La Cité des mortes (2005) et Thanatorama (2007). Gaza/Sderot (2008) puis Prison Valley (2010) et Code-Barre (2011) avec l’Office National du Film (ONF) font partie des premiers projets diffusés par Arte. Cette année marque l’institutionnalisation de la production.

Avec qui travaillez-vous sur une webproduction?

A.K. : Nous travaillons avec des producteurs, des agences web, des auteurs et des partenaires.

Nous pouvons collaborer aussi bien avec des producteurs web que des traditionnels qui ont développé des compétences nouveaux médias tels que Agat Films – Ex Nihilo. De plus, les agences web comme Upian s’orientent vers la production. C’est un changement de modèle économique important. L’agence web est un prestataire tandis que le producteur est copropriétaire de l’oeuvre.

Des auteurs sont de plus en plus actifs sur le créneau du webdocumentaire. David Dufresne et Andrés Jarach sont de ceux-là.

Le CNC a crée la commission nouveaux médias en 2007, sans laquelle peu de webproductions verraient le jour. Ces dernières sont toutes portées par des producteurs indépendants. Si Arte se charge de la production, nous finançons le projet à hauteur de 20 à 40% du budget. La part des fonds de soutien régionaux dotés d’une commission nouveaux médias augmente également.

Les partenaires de coproduction internationaux, encore rares il y a quelques mois, sont plus présents. Nous travaillons toutefois avec l’ONF depuis notre transition numérique, effectuée au même moment. Tout comme Arte, l’ONF a une problématique bilingue. Nous produisions des projets semblables et avions la même vision du web narratif. Nous avons donc décidé de travailler ensemble. De là sont nés Code-Barre et Fort McMoney.

La manière de travailler est-elle propre aux webproductions?

A.K. : Les projets de webdocumentaires rassemblent des équipes beaucoup plus importantes avec des savoir-faire hétéroclites. En tant que chargé de programmes web, je suis au centre d’un processus de création qui regroupe des documentaristes qui ont vingt ans d’expérience, des game-designers, des graphistes et des développeurs. La première fois qu’on m’a informé que « Le Drupal ne marche pas car le PHP ne communique pas avec le MySQL », j’ai eu peur!

De plus, on assiste à une ré-interprétation de la définition d’un auteur. Ce n’est plus uniquement la personne qui crée le PAD livré par le producteur au diffuseur. Sur le web, les designers d’interfaces et les concepteurs d’expériences peuvent être considérés comme des auteurs. Même certains développeurs, particulièrement créatifs, sont de vrais artistes. Je pense notamment à Vincent Morisset, acolyte d’Arcade Fire pour leur clip interactif, et qui vient du code.

L’usage de l’interactivité est-elle toujours pertinente?

A.K. : Tous les webdocumentaires ne justifient pas leur interactivité qui n’apporte parfois aucune valeur-ajoutée. L’usage de l’interactivité dépend du sujet. Fort McMoney est plus un documentaire qu’un jeu, à l’inverse de Type:Rider.

Nous avons été séduits par Fort McMoney dès le début. Mais comment concerner les internautes sur un sujet qui se déroule à Fort McMurray, dans l’Alberta? David Dufresne a émis une hypothèse qui s’est avérée juste par la suite : « Au début des années 90, personne ne s’intéressait à l’urbanisme. Depuis, SimCity a conquis des millions de personnes et leur a donné quelques notions ». A travers une mécanique de jeu, pédagogique et concernante, nous avons rapproché les gens du sujet. Les 275 000 visites (NDLR : en décembre 2013), dont plus de 80% en France et en Allemagne, prouvent la réussite du pari.

Type:Rider est un vrai jeu, agrémenté d’éléments de documentation. C’est un gameplay très traditionnel.

 Jusqu’où peut tendre cette interactivité?

A.K. : Nous avons effectué une première incursion dans la « réalité augmentée » avec Cinemacity, un projet éditorial et servitiel. Avec Small Bang, nous aimerions le déployer dans d’autres villes telles que Berlin, Londres ou Rome. La deuxième étape consiste à en faire notre première application Google Glass.

Le webdocumentaire est-il perenne?

A.K. : Les productions narratives ont un beau futur devant elles. En revanche, l’appellation « webdocumentaire » est une mode. Ce n’est pas un genre! En quoi un Cinemacity et un Fort McMoney sont-ils du même genre?

Sur le web, je pense que les diffuseurs historiques devront davantage se positionner en tant que marque éditoriale. Les gens nous font confiance. Les productions interactives seront de plus en plus nombreuses et de mieux en mieux financées.

Le webdocumentaire dit historique devient véritablement historique.

Arte et le webdocumentaire

A.K. : En 2013, Arte France a financé 15 projets avec 750 000 euros. Le service web d’Arte France comprend 11 personnes. Trois s’occupent des webproductions, cinq de l’édition de contenu et de l’accompagnent éditorial de l’offre antenne et trois de la technique. C’est une petite équipe!

Nous recevions 40 propositions de projets par mois. Mais sur ces 500 propositions pas an, 300 n’ont pas compris le concept de la webproduction. Des 200, 15 furent coproduites.

Pourquoi coproduire? Les logiques de pré-achat, très caractéristiques de la production audiovisuelle, ne sont pas encore adaptées aux webproductions. Le pré-achat, c’est un investissement important de la part du producteur grâce à une garantie d’achat par cinq ou six diffuseurs. Sur le web, cinq ou six chaînes seulement possèdent un département web. Cela ne sera bientôt plus le cas.

 A l’automne, Do Not Track, un webdocumentaire produit par Upian sur le Big Data et le tracking, verra le jour. Le tracking affectera bientôt ce que nous paierons à notre mutuelle et même la démocratie dans ses fondements. Si l’information consultée est celle qui est « likée » et non plus celle dont nous avons besoin, les élections n’ont plus de légitimité.

La « réalité augmentée » est la grande tendance actuelle. Après la personnalisation du web viendra celle des webdocumentaires.

[Cet entretien a été mené dans le cadre d’un atelier de réalisation étudiant. Il a été co-écrit avec Judith Hillebrant et Maxime Grimbert]

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