Alice Antheaume

Alice Antheaume
Alice Antheaume – Crédits: France 5

Alice Antheaume revient sur son parcours et les évolutions du journalisme. Retrouvez-là sur Twitter et sur son blog W.I.P.

Son parcours

Quelles études avez-vous effectuées?

J’ai un Master en Lettres modernes. Dans le cadre de ma maîtrise (qui s’appelle M1 aujourd’hui), mon mémoire tentait modestement de comparer Huis-clos, le livre de Jean-Paul Sartre, et les programmes de télé-réalité, qui, en 2001, apparaissaient pour la première fois à la télévision française.

A cette même époque, en tant qu’étudiante, je travaillais à Mezzo, une chaîne lancée par France Télévisions qui a ensuite fusionné, à la fin de 2001, avec Muzzik, une chaîne de Lagardère. Puis j’ai suivi un stage de six mois à TF1, pour découvrir une autre façon de fabriquer la télévision.

Puis vous entrez dans le monde du travail…

J’obtiens mes premiers CDD à Télérama.fr. Nous travaillons à l’époque sur Dreamweaver pour monter des pages car il n’existe alors pas de système de publication aussi perfectionné qu’aujourd’hui. Nous faisons même du WAP (Wireless Application Protocol) pour le mobile! Je me souviens y avoir passé beaucoup d’heures pour un résultat très rudimentaire… Dans le même temps, je commence à découvrir la confrontation entre print et Web.

En 2003, j’ai la chance de rejoindre les équipes du Monde.fr, dans un pôle qu’on appelle alors “ad hoc”, et qui est chargé de concevoir des formats multimédias sur l’actualité. Sans YouTube ni Dailymotion, nés en 2005, réaliser une vidéo peut prendre des jours… L’ambiance était assez magique car lemonde.fr ressemblait à un petit laboratoire. Tout était à imaginer et expérimenter. C’est à ce moment-là que je tombe amoureuse du journalisme numérique et espère pouvoir en faire mon métier. Je retourne ensuite à Télérama jusqu’en 2007.

En 2007, j’intègre 20minutes.fr. C’est l’année de la campagne présidentielle, des premiers “lives”, des premiers moments sur Twitter et Facebook. Les journalistes découvrent l’information en temps réel. La promesse? Donner l’essentiel de l’information au moment où les internautes se connectent. Cela a été une belle aventure. Au départ, 20minutes.fr était quasi embryonnaire avant de devenir, en 2009-2010, le troisième site d’information français.

Actuellement, je travaille à l’Ecole de journalisme de Sciences Po sur la prospective, sur ce que le numérique change à notre métier de journaliste. Mon blog Work In Progress, lancé en 2010, essaie de témoigner de ces évolutions. Je donne aussi quelques cours aux étudiants sur le journalisme numérique et participe en tant que chroniqueuse à Médias Le Mag sur France 5 chaque dimanche.

N’aviez-vous pas peur du numérique?

A cette époque, en entretien pour un stage ou un CDD, les employeurs disaient : « Vous avez une formation littéraire, jamais vous n’irez mettre les mains dans le cambouis », sous le capot des sites, dans le HTML. Beaucoup de jeunes journalistes qui s’imaginaient partir en reportage trouvaient alors sans doute rabaissant de toucher à la technique. Moi, pas. Alors j’ai appris à coder en HTML, et je m’en sers encore aujourd’hui. Sur Codecademy, j’ai suivi tous les cours sauf le Python. Je m’y mettrai sûrement cet été!

Notre grande appréhension, en tant que journalistes numériques et enseignants, serait de ne plus être à jour. Nous devons être en formation permanente, nous confronter à d’autres formats éditoriaux et emmagasiner de nouvelles compétences. Pour les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, les ateliers changent tous les semestres pour s’adapter au marché et coller aux attentes des rédactions.

Votre livre a-t-il reçu un bon accueil?

Il faut demander aux lecteurs… C’était important pour moi d’écrire un livre. Même sur du papier. Même sans liens. Même si le processus d’écriture n’a évidemment rien à voir avec celui que je connaissais en ligne.

Ce livre, Le journalisme numérique (édité aux Presses de Sciences Po), s’adresse à deux publics. Les étudiants qui se destinent au journalisme et ont envie de comprendre l’environnement dans lequel ils vont exercer leur métier. Et les producteurs d’informations, amateurs ou professionnels, qui sont amenés à s’intéresser au numérique.

Son regard sur l’évolution du journalisme

Le lancement de Buzzfeed en France a provoqué un certain scepticisme, n’est-ce pas?

Les sceptiques parlent beaucoup, les convaincus restent silencieux. Notre mission, à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, consiste à analyser les nouvelles pratiques du journalisme. C’est le but des conférences que nous organisons. Elles permettent aux étudiants et à ceux qui y assistent de poser toutes les questions qu’ils souhaitent, de découvrir des nouveaux usages, des nouvelles pratiques. L’école se doit d’être au cœur de ces discussions sur le journalisme et ses évolutions.

Dernièrement, êtes-vous tombée sur un produit journalistique innovant?

Pas vraiment. On a beaucoup parlé de Snow Fall, très bien réalisé, et qui a bénéficié de durées de consultations très longues. Cela fait rêver beaucoup de journalistes que d’avoir un tel reportage mis en majesté! Mais quel sera le prochain format éditorial d’envergure? Honnêtement, on sait mieux poser la question qu’y répondre.

On a aussi beaucoup parlé des vidéos en ligne. Malheureusement, il y en a pléthore et la majorité de ces vidéos ne sont pas toujours de qualité. La vidéo en ligne doit correspondre aux temporalités du mobile, et ne pas être recourir forcément aux mêmes principes narratifs que ceux employés par la télévision. Mais, trop souvent, cela ressemble à de la sous-télévision. De manière générale, on patauge souvent sur les formats.

Les serious games sont à suivre de près. Cependant, ils exigent plusieurs scénarii, une interface adaptée aux usages… A date, leur production ne peut pas être quotidienne. Cela demanderait beaucoup de moyens et une industrialisation du processus de création.

Aujourd’hui, quelles sont les qualités du journaliste idéal?

Lorsqu’il arrive dans une rédaction, un jeune journaliste est supposé être tout de suite opérationnel. Il sait faire de la veille en ligne, trouver des informations que les agences n’ont pas, recueillir des témoignages inédits, produire de l’information selon différentes temporalités, et en variant les formats éditoriaux, et bien connaître ses lecteurs.

Le Web est aussi son champ d’observation. 26 millions de Français sont connectés à Facebook. Des polémiques naissent en ligne, l’actualité y est débattue. Il peut y trouver une multitude de sujets.

Le journaliste idéal ne trouve pas seulement des angles pertinents, il sait quel format utiliser pour traiter son sujet. Vidéo, audio, papier, infographie… Il fait le bon choix.

De plus, il produit des informations en prenant en compte le support et le timing. L’ordinateur est le plus souvent utilisé entre 9 heures et 17 heures en semaine, pendant la journée de travail. Le smartphone est massivement consulté au réveil et le soir. Enfin si le lecteur utilise la tablette, ce sera plutôt le soir avant de se coucher et le week-end. Pour coller aux temps et aux usages de consommation de son audience, le journaliste doit savoir calibrer sa production journalistique en conséquence.

A l’heure actuelle, être un bon journaliste en ligne est devenu très difficile.

L’information tend à se personnaliser. Est-ce un problème selon vous?

Personne n’est obligé d’accepter une information personnalisée. Aujourd’hui, nous sommes plus sur-informés que sous-informés. De plus, nous faisons davantage confiance à nos proches qu’aux médias pour s’informer. Par exemple, pour un film, la critique de Télérama ou des Inrocks a moins d’influence que celle d’un ami. C’est un changement fondamental qui sacre le pouvoir de la recommandation sociale dans la consommation d’informations.

Si un média attend que ses lecteurs tapent son URL dans la barre de recherche de son navigateur, il est mort. Il doit aller les chercher là où ils se trouvent, et notamment sur les réseaux sociaux.

Pensez-vous que ces cinq tendances tech issues de la liste d’Eric Scherer connaîtront leur apogée en France en 2014?*

[* Les dix tendances ont été présentées à Alice Antheaume. Une sélection a été effectuée à posteriori]

Les assistants personnels?

Non. Ils cartonnent pourtant aux Etats-Unis. En revanche, les anges gardiens numériques feront sûrement leur apparition. Ils veilleront à ce que nos données personnelles ne s’éparpillent pas de façon incontrôlée.

Les vidéos personnalisées?

Oui. Bien sûr. Nous pourrons tous choisir les moments des vidéos qui nous intéressent.

Les Moocs?

Oui et non. Ce format a un champ d’application très vaste, cela peut être un cours académique magistral, comme un tutoriel pour se faire un chignon. L’Ecole de journalisme de Sciences Po espère proposer un Mooc l’année prochaine sur la culture numérique pour les journalistes. Mais nous devons encore réfléchir au contenu et à la forme adéquats.

Les commentaires, mais réinventés?

Oui. Nous arrivons au bout du système des commentaires traditionnels disposés en dessous de l’article. Il y a quelques années, les journalistes espéraient en tirer des informations précieuses. Mais ils modèrent davantage qu’ils n’échangent avec les internautes. Quartz ne propose pas de commenter l’ensemble d’un article, mais d’annoter sur le côté un paragraphe, une idée.

Les drones?

Non. On en parle beaucoup mais ce n’est pas une révolution. Le Tour de France les utilise déjà pour effectuer les repérages avant la course. Ils apportent simplement un nouveau regard lors de catastrophes naturelles ou de crashs d’avions par exemple.

3 réflexions au sujet de « Alice Antheaume »

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