François Quinton

François Quinton
François Quinton – Crédits: Ina

François Quinton est responsable éditorial d’inaglobal.fr, la revue des industries créatives et des médias.

Cet entretien va de pair avec celui de Philippe Thureau-Dangin, rédacteur en chef de la revue InaGlobal.

Pourriez-vous vous présenter et nous expliquer la naissance d’InaGlobal.fr ?

F.Q: A l’issue de mes études, à Sciences Po Rennes, à l’Université de Växjö (en sciences sociales) et à l’Université de Rennes-II (en histoire), j’ai participé en 2007 au lancement d’un site de critique de livres et de débat d’idées qui s’appelle nonfiction.fr.

Je suis venu au web par là. J’en avais bien sûr un usage avant, mais j’ai réalisé ma première approche professionnelle de gestion de projet et d’animation éditoriale à nonfiction.fr, dont je fus le rédacteur en chef adjoint.

En novembre 2009, je suis arrivé à l’Ina pour mettre sur pied le projet InaGlobal aux côtés de Frédéric Martel qui l’a conçu et finalisait alors sa grande enquête sur les médias dans le monde, Mainstream. inaglobal.fr a été lancé en 2010.

L’idée du site découlait d’un double constat. Le premier mouvement est que la révolution numérique bouleverse tous les secteurs des médias et des industries créatives (les modèles économiques, les pratiques, les régulations ; en même temps, elle accentue la convergence entre ces secteurs). Le deuxième phénomène à l’échelle mondiale est l’affirmation de grands groupes de médias extra-occidentaux –  comme Globo ou Al Jazeera – avec lesquels il va falloir de plus en plus composer.

Il était donc important de proposer quelque chose qui puisse aider à la compréhension du fonctionnement des industries créatives et des médias, dans une perspective internationale.

Que publiez-vous?

F.Q: Nous publions d’abord des articles d’analyse – tous originaux et pour la plupart traduits en anglais – sur des groupes, des marchés, des pratiques, des régulations. Nous proposons par ailleurs une revue de presse quotidienne, par laquelle nous recommandons à nos lecteurs telle ou telle analyse parue ailleurs, en France ou à l’étranger. Nous publions également des notes de lecture, principalement sur des livres étrangers inédits en France, des statistiques, des dossiers. Tout ceci avec un positionnement « expert ».

Notre rapport à l’actualité est différent de celui des sites d’information généralistes. Nous avons à la fois un rapport proche à celle-ci à travers la veille ou d’autres publications (comme le dossier Facebook monté pour les dix ans du réseau social) et un rapport plus froid. La plupart des articles publiés ne sont pas directement dans l’actualité « chaude » mais permettent de prendre du recul sur des problématiques très actuelles.

Qui fait InaGlobal.fr?

F.Q: Nous sommes trois salariés : Sylvie Lartigue (qui travaille principalement sur les évolutions techniques du site et sur les réseaux sociaux), Claire Hemery (qui travaille sur les aspects rédactionnels), et moi-même, qui pilote l’ensemble en tant que responsable éditorial. Nous accueillons de temps à autre un ou deux stagiaires.

Nous appartenons à un service qui regroupe aussi les « e-dossiers de l’audiovisuel », l’activité de e-learning et le Centre de Ressources Pédagogiques. Ce service est lui même inséré dans un ensemble plus vaste : la Direction Enseignement Recherche Formation (Ina Expert).

Comment sont écrites les analyses?

F.Q: Nous travaillons avec un réseau d’expert pour apporter de la valeur ajoutée, de l’approfondissement, de la mise en perspective. C’est ce qu’attend, entre autre, notre public (chercheurs, étudiants, journalistes et professionnels).

Quand nous avons une idée de sujet plus ou moins précise, nous recherchons un auteur, expert dans son domaine, qui pourrait nous aider à la préciser, la traiter ou nous recommander quelqu’un à même de le faire. Certains auteurs nous proposent aussi spontanément des sujets. Dans ce cas, nous leur demandons un pitch qui nous permet de bien comprendre les enjeux et l’angle du sujet. Est-il pertinent, original?

Nous avons le souci de publier de bonnes analyses mais qui restent accessibles. Si certains termes sont trop techniques, nous leurs demandons des précisions, des définitions. Le site publie à la fois des articles plutôt généralistes, et d’autres plus pointus.

Notre modèle de « production » peut se résumer ainsi : avoir beaucoup de monde qui écrit peu. Pour deux raisons. Il est d’abord important que chaque analyse qu’on publie soit solide. Nous ne faisons appel qu’à des experts. Sur un sujet, si on compte l’approfondir, on tombe vite sur un nombre limité de personnes qui sont au plus près de la recherche ou de la pratique professionnelle sur la question. Ensuite, un expert, par définition, n’est pas spécialiste de tout et, comme tout le monde, a une vie professionnelle, personnelle,… Sa disponibilité est donc fluctuante.

Pourriez-vous donner quelques chiffres de fréquentation?

F.Q: Notre audience est en croissance et se situe actuellement entre 20 000 et 25 000 visiteurs uniques mensuels. Sur Twitter, nous sommes suivis par 2 700 personnes et près de 1 400 internautes aiment notre page Facebook.

C’est peu si l’on compare avec ina.fr. (2,8 millions de visiteurs uniques / mois), mais c’est plus appréciable si l’on considère qu’inaglobal.fr ne correspond pas à une offre grand public, même si le site est gratuit, mais à une offre experte, plus ciblée. Est-ce pour autant suffisant? Non, mais l’audience croît régulièrement et nous entendons bien maintenir cette tendance.

Au-delà des chiffres, ce qui nous importe c’est de parler aux bonnes personnes. Nous arrivons à le vérifier grâce aux mentions sur Twitter, sur le web, dans des livres, des articles ou des rapports parlementaires. C’est important pour nous d’être cité par les personnes qui ont une influence dans les domaines que nous couvrons.

Quelles sont les évolutions que va connaître InaGlobal?

F.Q: Je pense qu’InaGlobal est reconnu comme un média de qualité qui apporte du fond, mais il nous faut renforcer notre démarche sur plusieurs points. InaGlobal a donc connu et va connaître plusieurs changements.

Nous affirmons davantage notre expertise en matière de recommandation de contenu. Nous voulons être en mesure de dire qu’une étude ou qu’une analyse publiée par un média, un think tank, un centre de recherche ou autre, en France ou à l’étranger, est à lire. C’est tout le sens de nos « Lu sur le web », lancés il y a quelques semaines.

Un autre chantier concerne la mise à jour et à l’enrichissement des chronologies médias, qui sont le fruit d’une collaboration avec Francis Balle (professeur à Paris-II, ancien membre du CSA et auteur du manuel de référence Médias et Société).

Nous travaillons à la diversification du type de contenus proposés sur le site (vidéos, livestreams, entretiens,…).
Nous réfléchissons aussi à l’optimisation du site pour la lecture sur support mobile.

Enfin, il y a la revue papier, qui sort ces jours-ci en librairie.

Avez-vous une crainte de l’impact de la personnalisation de l’information sur la démocratie?

F.Q: C’est une vraie question, qui était d’ailleurs posée par Cass Sunstein dans son livre Republic.com 2.0Si on prend un peu de perspective historique, les médias de masse sont très récents. Pourtant, les Hommes ont toujours partagé de l’information.

Après les lois libérales du second Empire (1868) et de la IIIe République (1881), il y a une explosion du nombre de journaux, portée par un mouvement général d’alphabétisation, d’urbanisation et de politisation. Il y a 150 ans, les gens étaient donc de plus en plus informés. La lecture de la presse devient peu à peu un phénomène de masse.

Qu’il s’agisse d’une presse nationale, locale, politique ou littéraire, satirique ou autre, il y avait déjà une consommation d’information selon les préférences partisanes, religieuses, les centres d’intérêts, etc. De ce point de vue, la personnalisation de l’information n’est pas complètement nouvelle.

L’arrivée de la télévision a bien sûr changé les choses, avec, pour la France, au moins quatre caractéristiques : une adoption plus tardive que dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni ; la force de l’image animée ;  le faible nombre de chaînes (en France la 2e chaîne est créée en 1964, la 3e en 1972-73) et le monopole d’État (jusqu’en 1982) ; et enfin la capacité à « faire rendez-vous », à imposer son rythme aux gens.

Le 20 heures est souvent comparé à une grand-messe, même si c’est de moins en moins le cas. Nous sommes, je crois, dans une situation hybride dans laquelle chacun filtre consciemment ou non les informations et est dans le même temps exposé à des informations « incontournables » partagées par le plus grand nombre.

J’ajouterais que les pratiques de personnalisation de l’information ne sont pas uniformes. Il y a toujours des déterminants d’âge, de genre, de catégorie sociale, géographiques : tous les jeunes ne se servent pas de feedly ou de Scoop.it! Il faut faire attention à ne pas être dans un discours qui donne une vision unifiée de la jeunesse à partir d’un exemple urbain, éduqué, connecté.

Le web va t-il favoriser la construction de communautés qui seraient séparées et qui ne partageraient plus aucune information commune? Je ne pense pas. Fondamentalement, nous appartenons toujours à plusieurs communautés, nous sommes inscrits dans plusieurs réseaux. On n’est pas uniquement fan de jeux vidéo, ou de cinéma, on est aussi étudiant dans tel ou tel cursus, salarié dans tel(le) ou tel(le) secteur/entreprise, urbain ou non, etc.

Nous sommes des êtres sociaux! Peu de gens n’ont pas entendu parler de Julie Gayet ces derniers temps, même ceux qui ne sont pas des lecteurs assidus de journaux, « people » ou non.
Pourquoi? Parce que les médias parlent beaucoup des médias et que certains exercent un effet de légitimité sur certains sujets. Un sujet peut ainsi apparaître sur le web, être repéré par un média ou par l’AFP qui va faire une dépêche qui va attirer l’attention de la télévision, etc. Ce n’est jamais étanche.

Cet entretien va de pair avec celui de Philippe Thureau-Dangin, rédacteur en chef de la revue InaGlobal.

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